Texte : J’aime la brume…

By 22 septembre 2021Poésie / Texte

Tôt ce matin, alors que j’avais à faire à l’extérieur, je me suis retrouvée à traverser une vaste zone noyée dans la brume.
D’épais nuages laiteux qui réduisaient la visibilité, et donnaient au monde du quotidien un air fantasmagorique… peuplés de fantômes de moments similaires, à l’éclat irisé dans ma mémoire.. j’aurais adoré m’arrêter. Prendre des photos, marcher dans n’importe quelle direction, jusqu’à ce que mes jambes me demandent une pause bien méritée… Attendre dans le demi silence que le jour se lève tout à fait, estompant progressivement les ténèbres…
Hélas j’étais prise dans la frénésie de l’horloge. Des rendez-vous à ne pas manquer, des papiers à envoyer avant telle heure donnée… J’ai chassé cette pensée, du moins j’ai essayé : elle m’a poursuivie toute la journée.
Cela m’a rappelé des moments que j’ai dérobé dans le passé, et que j’ai confiés à la douce nébulosité de ces jours tamisés. Je me souviens du plaisir de marcher dans cet irréel écran de fumée…

Bon sang, comment ai-je pu oublier ces dernières années ? J’aime la brume… Cette familière inconnue aux allures de poème.
Vous ai-je jamais parlé de cet étrange sortilège qui peut revêtir la légèreté d’une plume ? Combien de fois, il y a longtemps, ai-je pris plaisir à faire mes trajets à ses côtés ?
Comme il est bon de s’abîmer dans ses souvenirs jalousement gardés..

S’enfoncer dans son voile gris, s’évaporer aux yeux du monde comme par magie… Cette sensation de s’aventurer dans un lieu oublié, qui n’appartient qu’à ceux qui se tiennent au centre  de la buée… Un goût de retombée dans la candeur de l’enfance. Une allégorie de l’avenir que l’on ne peut jamais vraiment deviner…

En ville, voir les gens et les voitures disparaître dans la grisaille, et apparaître d’un coup, par enchantement, seulement pour un fugace moment. Arbres et bâtiments émergent au fil de la route comme on sort d’un long sommeil, avant d’y sombrer à nouveau, quelque part dans notre dos.

Par endroits, l’on n’y voit guère à plus d’un mètre de distance, tandis qu’ailleurs, quelques dizaines de mètres sont visibles, ou devinables. Comme des bulles diverses et variées, ci et là déposées. On passe de l’une à l’autre au son de l’écho de nos pas.  Un univers estompé, lavé, qui gomme les défauts et le trop parfait dessiné par le hasard. Tout prend un air différent dans ces cas là, ensevelis sous le brouillard..

Dans son étreinte, même les plus connus des chemins s’auréolent de mystère. L’occasion de les redécouvrir, d’une singulière façon, à mesure que les détails se dévoilent lentement, tour à tour. Un pas après l’autre, l’oeil capture les contours qu’il ne faisait qu’interpréter l’instant d’avant. Timides, les couleurs se fondent dans un camaïeu de gris, monochrome de génie..

Au sein de cet espace artificiel, créé par une illusion de cocon, je ressens une certaine forme d’intimité. Lors de mes instants d’angoisse, il se ressert sur moi, et j’ai peur de tout ce qui pourrait, à tout moment, surgir de n’importe quel côté. Mais les bons jours, c’est un cadeau dans lequel je me sens libre d’être et de respirer.. Mon imagination de grande enfant se teinte d’humidité, et je parcours des terres oubliées. C’est comme plonger dans des citées immergées, mais sans avoir à retenir son souffle.. lequel s’échappe en volutes de vapeur. J’hume le sol qui transpire de fraîcheur, cet humus détrempé dont la douceur est presque palpable. Loin dans ma tête, se jouent des scénarios incroyables, et en avant plan, mes sens savourent le présent.

Écouter les oiseaux, les seuls qui se moquent de défier le silence de leurs mots si plaisants. Sentir la vie qui s’éveille, bruissant dans chaque recoin, et ressentir ce léger picotement sur la peau, ce frissonnement qui nous rappelle qu’on est vivant. Voir le voile se dissiper, à mesure que le jour gagne du terrain, se délecter de l’air qui glisse autour de ma main… Respirer le vent, le parfum des fleurs au petit matin. Observer les couleurs qui saturent graduellement sur toute chose, comme avec pudeur, alors que le tableau se métamorphose. Les premiers rais de lumière qui percent vraiment le rideau de petits cristaux en suspension, faisant naître – parfois, quand on a de la chance – de petits arc-en-ciel inopinés.. S’ouvrir à ce monde opalescent, constellé de gouttelettes abandonnées, comme autant de points de rosée qui scintillent au Soleil. Se dire que notre Terre est véritablement une pure merveille..

Revenir délicatement dans le monde « des gens ». Reprendre la marche pour rentrer chez soi, paisiblement. Ancrer en soi ces heures clandestines, l’âme chaussée de ballerines.

2 Comments

  • Nath dit :

    Magnifique!

    Moi aussi j’adore la brume, j’ai l’impression qu’en plus de masquer les lieux, elle étouffe les sons, comme dans du coton. Cette sensation d’irréalité donne l’impression d’être dans un rêve.

    Gros bisous à toi!

    Nath

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