En ce moment, je recommence. J’aimerais tellement être et faire plus, et mieux, que je me déprécie sans cesse, avec cette sensation que je suis incapable et sans valeur, que je suis juste « de trop » puisque je ne sers à rien..
Alors, comme conseillé, je relativise tous les besoins que je mets en pause pour assurer le quotidien de mes filles (Solitude, Silence, Absence de responsabilité, Envie de jouer, de davantage dessiner, de dormir..), je regarde toutes les limites que je repousse sans cesse comme si mon objectif était qu’elles n’existent plus alors qu’elles sont vitales, et surtout je relis la liste de ce que j’ai traversé ces dernières années..
Sur cette liste, je trouve en même temps qu’il y a beaucoup de choses, et en même temps, qu’il n’y a « rien ». Et tout me semble encore si irréel et flou que j’ai du mal à l’appréhender.
Une phrase tourne en boucle dans ma tête comme une rengaine : « Tu t’inventes des problèmes ».
Et s’ils avaient dit vrai, ces gens de toutes sortes qui m’ont servi ces mots chaque fois que, avant, j’évoquais quelque chose au cours de ma vie ?
On en discute beaucoup avec ma thérapeute, de cette sensation que rien n’est vrai, que rien n’est réellement arrivé. Que je n’ai pas de raisons d’aller mal, de me plaindre, puisque tout est « si loin ». C’était hier, mais aussi il y a mille ans déjà. C’est quelque part sur le temps, suspendu entre deux secondes en expansion. Cette sensation que je n’existe pas, donc mes émotions et mes souvenirs non plus… Non, rien n’est vrai. Donc rien n’est arrivé. Sinon, comment j’aurais fait pour continuer à avancer ? Je suis encore là. Alors c’est que je devrais aller bien, et donc être en capacité de gérer plus, et mieux.
Pour elle, c’est le signe que c’était « trop » à gérer, à chaque fois. Que là, en cumulant tout, c’est ‘trop sur trop’, et que c’est pour ça que je trouve tout cela aussi difficile à admettre… aussi difficile de regarder en face les cicatrices que ça m’a laissée.. aussi impossible de faire dire à ma tête que ça s’est vraiment passé.. aussi compliqué de m’avouer que « je ne vais vraiment pas bien, et c’est normal et okay« .
On fait l’exercice d’inversion des rôles. Et si c’était elle, ou n’importe qui d’autre, qui avait traversé ça ? Alors oui. Là, je me demanderai comment la personne tient encore debout. Comment elle se lève chaque matin en s’efforçant de croire qu’un jour tout ira mieux, quitte à creuser encore un peu avant. Oui, j’aurais de la compassion, de la bienveillance et de l’amour pour la personne en face de moi. Oui j’éprouverai le désir de faire montre d’une tonne de douceur envers elle, et de la ménager autant que possible. Alors pourquoi ne puis-je faire de même pour moi-même ?? Pourquoi cette haine de moi qui me poursuit, encore et toujours ??
Peut-être justement parce qu’une part de moi refuse encore et toujours d’accepter tout ce qui a pu se passer. Peut-être aussi parce qu’au fond de moi, je ne suis jamais parvenue à m’estimer digne de ça… Probablement également parce que, même si je ne parle jamais de rien, j’attendais que quelqu’un vienne éprouver ça pour moi, puisque c’était bloqué en moi ? J’ai attendu si longtemps qu’on me dise « ta souffrance est légitime. Tu as le droit de dire que tu ne vas pas bien. Il n’y a pas de honte à pleurer. » Je ne les ai entendu que trop tard.. je n’y croyais déjà plus.
Il y a quelque chose d’ancré en moi qui, en permanence, me susurre le contraire, et m’accable de ne pas réussir plus et mieux. Une petite voix qui depuis toujours me murmure « tu ne seras jamais assez, ni assez bien. Tu ne vaux rien.« . J’ai intégré bien plus facilement les phrases qui me faisaient sentir comme une merde et un boulet, que celles qui me faisaient des compliments. Je n’arrivais pas à les croire, les compliments, et j’ai toujours du mal… Comment croire le bon quand on entend surtout le mauvais ? À la fin, on ne voit que le moins bien. Le négatif, c’est ce qui se voit le mieux de loin.
J’ai toujours « dissocié ». Mon esprit loin là-haut, observant ce corps en contrebas comme s’il n’était pas le sien. Tout est plus facile à encaisser comme ça. Les mots, les coups, les malchances. Tout fait moins « mal » quand ça se passe derrière un écran, même imaginaire. Quelle autre solution quand la situation qui revient le plus, c’est d’être victime et pourtant accusée d’avoir cherché les problèmes ?
Comme cette fois où ce gamin que tout le monde savait « particulier » a été laissé sans surveillance, et qu’il a essayé de m’étrangler simplement parce que j’avais croisé son regard, lui qui n’était pas sensé se trouver là. On m’a dit que c’était ma faute. Comme ce praticien qui m’a dit sans frémir que la perte d’un enfant est toujours du fait de la mère.. Tout a toujours été « de ma faute ».. j’ai mis si longtemps à me défaire – partiellement – de cette impression que tout le négatif du monde venait uniquement de moi.. J’ai bien avancé là dessus, mais pas assez. Aujourd’hui, si quelqu’un trébuche dans la rue sur le trottoir en face du mien, j’aurais quand même l’impression que ma seule présence lui aura porté la poisse…
Il y a encore tellement de chemin à faire dans ma tête et dans mon coeur. Vers moi surtout. Ce petit égo de petite fille que j’ai laissé couler sous une épaisseur de béton il y a longtemps, et qui continue à pleurer, seule dans son obscurité. Je suis une adulte maintenant. Je dois la sortir de là, la protéger et l’aimer comme si elle était l’une de mes filles, parce qu’elle n’avait rien fait de mal, et parce que j’ai besoin d’elle aujourd’hui. Ses failles sont les miennes, et je suis fatiguée de mes fissures. Je suis fatiguée tout court. Ça devient même difficile de garder un discours cohérent et de suivre une pensée sans la perdre dans le fourmillement des autres… Enfin bref.
Je croyais que c’était bon, mais force est de constater que non. J’ai besoin avant toute chose de réaliser et admettre de façon objective mon état actuel. Qu’importe que personne ne le voit ni ne le comprenne. Que, même si mes incapacités qui en découlent blessent des gens autour de moi, ce n’est pas volontaire et donc pas ma faute. Que j’ai le droit de m’occuper de moi. De ma remise en état – comme je peux dès que je le peux en m’occupant des filles. Qu’importe le bordel dans la maison, et le ménage qui traîne. Encrer dans mon propre regard que « si, oui, j’ai morflé« , alors prendre le temps de se remettre : c’est okay. Moralement surtout, mais pas que. Mon corps aussi a pris. Il a d’ailleurs vécu même ce que reniait mon esprit. Et même si quand il s’agit de moi, ça me paraît pas fou, quand j’imagine un proche vivant les mêmes choses, je sens bien que ce n’est pas rien du tout;.. Il y a tant de chemin à parcourir encore…
Aller, en avant. Un pas à la fois. Même tout petit.
Pour cela, aujourd’hui, mon objectif est d’avancer vers l’acceptation d’un seul fait. Avant même de pouvoir faire preuve de douceur envers moi, il faut d’abord que j’admette une chose : je suis en convalescence, et ça va durer un moment. Ce n’est ni bien ni mal, et il faut en passer par là.
Aller courage. Si je peux le faire pour n’importe qui, je dois pouvoir le faire pour moi. Il suffit peut-être de l’écrire noir sur bleu pour que j’y pense :