J’ai vu la nouvelle il y a moins d’une heure …
Elle est tombée comme souvent tombent ces nouvelles, d’un coup, sorties de nulle part…
De ces rappels à la vie auxquels on pense sans cesse tout en les oubliant obstinément…
De ces révélations qui vous heurtent de plein fouet : j’arrive à un âge où il est « normal » de voir mes proches les plus « âgés » mourir…
Lui est parti ce matin. Dans toute la douceur de l’aube j’espère, sous les chants des oiseaux, et les premiers rais de lumière. Dans le calme qui lui allait si bien. J’espère qu’il n’a pas souffert, et qu’il s’est endormi avec le sourire.. je l’aimais bien. Je l’aimais beaucoup même.
Il était prêtre. Étant issue d’une famille catholique et pieuse, j’ai souvent croisé des « curés » au cours de mon enfance et adolescence. Je crois qu’il est le seul avec lequel je ne me sois jamais pris le bec ! Il était humain bien avant d’être quoi que ce soit d’autre, il a toujours respecté mes différences, mes avis, ma vie … Oh pas qu’on échangeait beaucoup, on se voyait peu, mais cela nous est tout de même arrivé plus d’une fois. C’est curieux comme quelqu’un peut se faire une place dans votre coeur avec quelques mots, quelques gestes, quelques regards égrenés sur toute une vie…
J’ai toujours eu plaisir à le voir, et il fait partie de ces rares personnes où je n’ai jamais douté qu’il ait plaisir à me voir également, sans aucune raison particulière.. Il était le seul prêtre à avoir gagné, à mes yeux, le titre d' »Ami de la famille« .
C’est lui qui m’a baptisée. Et je m’étais toujours dit que si un jour je me mariais, ou – bien plus tard – si je devais baptiser mes filles, c’était lui que je voulais voir présider la cérémonie, quitte à être secondé par un autre… Pourtant, je ne suis pas croyante. Mais sa bénédiction morale à lui, je l’aurais volontiers accueillie..
Il était une sorte de « grand père bonus », un puits de savoir et de souvenirs, toujours posé, toujours bienveillant. La même tendresse et la même sagesse dans les yeux et le coeur que ma bien-aimée et regrettée grand mère…
Il avait 99 ans.
Il en aurait eu 100 avant l’Hiver… Il a toujours été là, d’aussi loin que remonte ma mémoire et encore avant cela. Une part de moi avait fini par le croire immortel, intemporel.. La même part de moi qui désormais culpabilisera de ne jamais avoir créé l’opportunité de lui faire prendre mes filles dans les bras au moins juste une fois…
Une autre part de moi s’y attendait pourtant… mais déni ou sottise, même cette part la a été prise par surprise… En tout cas, celle que je suis toute entière se prend à pleurer à chaudes larmes pour cet homme que tous qualifiait – à juste titre selon moi – de « bon ». Je sais déjà qu’il va me manquer..
C’est peut être à cause de son âge avancé que j’écris pour digérer la nouvelle. Parce que je ne peux guère en parler…
Après tout, c’est dans l’ordre des choses… Il était vraiment âgé, il a bien vécu… il y a tant de drames plus percutants, moins « logiques » que celui-ci…
Oui… Mais ce n’est pas pour autant que ça ne fait pas mal… C’est un adieu. Un adieu unilatéral, brusque, irrémédiable… de ceux qui vous laisse un goût d’inachevé, car on n’y est jamais prêt…
Je ne suis pas croyante, mais une fois encore, je me prends à espérer que les âmes perdurent. Que la sienne rejoindra celle de ma grand-mère, celles de mes fils, dans un ailleurs doux, d’où ils pourront être témoins de ce qu’ils n’auront jamais vu de leur vivant… comme une envie enfantine de se dire qu’une part d’eux subsiste auprès de nous…
Peut-être aurait il souri à cette idée.
Il m’aurait sûrement dit que la foi pouvait commencer comme cela. Quelque chose comme ça. Avec cette étincelle pétillante dans le coin de l’oeil.
Nous n’aurions pas poussé le débat plus loin, car il n’y en aurait pas eu besoin. Il n’était pas là pour convaincre, ni moi pour vaincre.
Il aura gagné sur un point, ou peut-être plus que c’est moi la gagnante dans l’histoire. Pas sur le thème de la religion, mais sur celui de l’être. Ce qu’il a légué autour de lui sans le savoir, c’est ce qu’il était : un guide d’humanité de plus sur mon trajet, ancré dans mes souvenirs teinté d’enfance, celle de l’âme.
Je me fiche si tout ceci est abstrait pour quiconque me lirait. J’écris pour moi.
C’est un mini cadeau que je me fais. Accueillir la douleur et en parler. Bercer la perle de douceur que je conserve de ce lien que la Vie m’avait donné…
Attendre que le choc et sa douleur finissent par partir.
Garder le souvenir. Et en y repensant, réussir à sourire..