Cet article là, je l’ai commencé il y a maintenant un bon moment, je dirais deux ans, ou pas loin..
Il est peut être temps de le partager aussi, après mise à jour rapide.
J’aurais mis quinze ans à réaliser, presque seize au final.
Quinze années pour affronter l’un des plus ténébreux fantôme de mon passé, l’un des plus lourds à porter. Et j’ai eu envie d’en parler.
Quand j’étais plus jeune, je rêvais toutes les nuits. La plupart du temps de jolis rêves, d’incroyables fantaisies. J’attendais chaque jour la nuit pour me réfugier dans ses bras de velours. Avec elle, je vivais mille vies, dans plus de mille couleurs. Je faisais mille rencontres, mille voyages, et je n’avais jamais peur. Les cauchemars étaient peu nombreux, et c’étaient toujours les mêmes. Rares étaient les réveils qui se faisaient dans la douleur. Elle était le remède à mes journées de peine, ma meilleure alliée, si belle avec ses constellations oniriques et son voile ébène..
Il aura suffit d’une à deux années pour que tout bascule sans même que je ne m’en aperçoive.
Une personne a brisé mon rythme et mes habitudes, et presque tout de moi, en fait. Cela me déplaît de lui donner tant d’importance, mais avec le recul, le constat est édifiant : cette personne n’a pas seulement tout brisé de mes journées; en cours de chemin elle m’a aussi volé la nuit, la seule amie que j’avais vraiment à l’époque, avec les livres et l’ordi…
Petit à petit, en changeant tout, en volant toujours plus, même ce qui ne se dit pas sans détresse, elle a maudit l’obscurité autant que le reste.. Les jolis rêves se sont petit à petit effacés, remplacés par toujours plus de noirceur.. faisant ressurgir toutes souffrances jusqu’ici ignorées, et en édifiant de nouvelles.
Le terreau était déjà largement là, lui facilitant le travail, je n’ai pas su voir ni comprendre que j’aurais pu et dû me défendre. Ou fuir…
Cette personne avait pris soin de m’isoler totalement très tôt, alors j’imagine que le fait de m’être retrouvée seule face à cela n’a pas aidée. Parler demandait un courage incommensurable, et personne n’avait envie d’écouter, ou de comprendre les mi-mots, les demi appels à l’aide. Personne n’a cru. Personne n’a agit… sauf moi. Un ultime élan de survie que moi-même je n’ai pas compris, mais que je remercie aujourd’hui.
Du jour où j’ai réussi à m’extraire de ses filets, je n’ai presque plus jamais rêvé. Je n’ai fait que cauchemarder.
Tout ce qui avait pu être avant, pendant, et tout ce qui était désormais me hantait chaque fois la nuit tombée, au point que j’ai souvent eu peur d’aller me coucher… Je dormais à côté de mon écran, du son en permanence auquel me raccrocher, une petite lumière allumée. Même ainsi, je ne pouvais guère y échapper. Des cauchemars nombreux, douloureux, qui me faisaient me réveiller en train de m’étouffer, de pleurer, de transpirer, de hurler, et en ayant envie d’en terminer… j’ai eu beau m’abrutir de jeux, de livres, de tout ce que je pouvais, je ne parvenais qu’à limiter leur emprise le jour. La nuit demeurait un enfer sans fin..
Tant bien que mal, je m’y suis faite. J’avais renoncé. Renoncé à me réveiller revigorée. Renoncé à rêver ces belles choses qui m’avait tant portée… Je me croyais punie pour une faute que j’aurais faite, ou pour le seul fait d’avoir toujours été imparfaite. J’avais accepté ce châtiment inexpliqué comme je pensais avoir acceptée chacune des choses qui m’était arrivée… je me trompais, mais je l’ignorais.
J’ai bien essayé d’affronter ça avant, mais me heurtant à des dénis, de l’indifférence, et ce genre de choses, j’avais fini par me convaincre que j’avais peut-être tout rêvé/cauchemardé, ou que c’était « normal ». La vérité c’est que c’est tellement « commun » que bien des gens n’y font pas attention, c’est tellement loin des clichés véhiculés partout et qui arrangent bien ceux qui commettent ces méfaits ordinaires ou souhaitent continuer à les ignorer… et c’est compliqué de cheminer seule sur un chemin pareil, sans personne pour nous conforter dans l’idée qu’on fait bien, que non ce n’était pas normal, etc.. répétez à n’importe quelle personne qu’elle est folle ou mytho assez souvent assez longtemps, et elle finira par le croire elle même..
Les années passant, la thérapie m’a aidée sur bien des sujets, l’Amour de mon conjoint aussi, lui qui a su adoucir la solitude que l’on ressent la nuit, seul face à soi-même. Combien de fois l’ai-je réveillé car la douleur était trop forte pour ne pas craquer ? Combien d’heures nocturnes a-t-il passé à me consoler, sans me juger ? On s’est habitués. C’était ainsi : je me réveillais plusieurs fois par nuit en proie à des crises de larmes, de paniques, d’angoisses ou de douleurs. À moitié réveillé la plupart du temps, il me prenait dans ses bras, me murmurant que c’était passé, que j’étais en sécurité et qu’il m’aimait… ce que j’ai pu m’en vouloir de lui infliger celle que j’étais. Ce que j’ai pu me détester de me sentir ainsi perdue et brisée…(sans compter ceux de mon entourage qui me dépeignaient comme un boulet à ses côtés.. une autre source de cauchemars qu’il a fallut traiter..)
Et puis en 2021, après un long, très long chemin de pensée, j’ai contacté une association sur un thème bien précis. Je leur ai livré sans fard mon témoignage sur cet épisode que j’avais cru enterré mais dont je ne parvenais pas à me débarrasser. J’ai tout déballé, même les passages les plus choquants, ceux dont je crevais encore de honte de même juste y penser. Je n’ai rien caché.
Je crois que j’étais prête à assumer au moins en partie, ou du moins, à entendre la vérité – au moins juste une fois. Car au fond, une petite voix hurlait. Depuis toujours, elle savait..
Et le verdict est tombé.
Je l’ai accueilli comme je ne sais quoi : avec peine, avec douleur, avec colère, et avec soulagement… il était temps.
Oui, pendant deux années, cet ex m’a abusée, mentalement comme physiquement.
Oui, il y a eu violences, et pas seulement verbale et psychologique, ignorées ou minimisées si j’avais le malheur d’en parler. Oui, il y avait eu viols. Répétés, et niés. Oui, j’ai porté ça seule pendant des années, puis à mi-mots avec mon conjoint qui a tout accepté, et rien brusqué. J’ai reconstruit, à force de volonté -et de retours en arrière involontaires parfois-, un semblant de confiance en moi, une confiance en l’autre, un vague sentiment de communion et d’appartenance avec mon corps, et un milliard de petites choses qui n’ont l’air de rien mais qui changent absolument tout… Mais il manquait quelque chose, quelque chose de crucial : l’intégration.
Il me manquait de regarder en face les faits, leur violence et leurs effets, d’admettre que tout cela était bien réel – aussi dur que ce soit -, de me laver de la culpabilité que j’en ressentais, de lâcher la colère que j’avais réprimée, d’accepter le désespoir que cela avait engendré, de réaliser tout ça et de l’intégrer à mon histoire sans le laisser me résumer.
J’ai re-traité la chose en thérapie, en profondeur et sans déni cette fois-ci. Et les mois ont passé. Jusqu’à ce qu’un matin je me réveille en réalisant pour la première fois : « ma nuit était noire« . Je n’avais pas rêvé, je n’avais pas cauchemardé. J’avais simplement dormi. Pas de douleurs au réveil. Pas de larmes au milieu de la nuit. Pas d’angoisse provoquant ensuite une insomnie. Une nuit sans son, et sans image… alors j’ai observé mes nuits, l’une après l’autre, et j’ai compris. J’ai compris que la plupart de mes cauchemars étaient partis. Simplement comme ça, lentement, « normalement »…
Le poids dans ma poitrine était plus léger aussi. La boule de haine qui s’était implantée quinze ans auparavant, et contre laquelle j’avais lutté de toutes mes forces pour n’en laisser que des résidus informes n’était tout bonnement plus là. Pas même en poussière. Reste de vagues grains de colère qui font partie de moi, mais rien de si lourd qu’avant à porter.
Quinze années, et un zeste de besoin d’en parler pour l’encrer dans la réalité, mais la page peut enfin se tourner désormais…
Je n’aurais jamais cru que ça puisse réellement arriver… par moment je me demande même si cela va durer… Je me sens toujours amputée de ces rêves qui comptaient tant pour moi, mais j’arrive à me contenter de la chance d’avoir connu ça. L’essentiel est que les ténèbres qui m’entouraient se dissipent. Car pendant plusieurs mois d’affilé je n’ai plus fait de cauchemars multiples chaque nuit.
Il y a bien autre chose qui a ensuite perturbé mon sommeil depuis, mais rien à voir. C’est que ça chamboule tout, une grossesse (surtout quand ça se passe mal) et des bébés. Et puis mes peurs qu’il leur arrive quelque chose se manifestent la nuit comme toutes mes peurs, mais ça reste très différent, et bien moins systématique. J’ai bien quelques rêves désagréables encore, par-ci par là, et quelques cauchemars qui perdurent, mais pas sur ça, plus toutes les nuits, pas plus d’une ou deux fois par nuit, et rien d’aussi horrible qu’avant.
C’est vrai, les beaux rêves fantastiques ne sont pas revenus, mais qu’importe aujourd’hui. C’est déjà pour moi un miracle que, quand aucun pleurs ne résonne, j’arrive à dormir sans souffrir..
Quinze ans de vie, voilà ce que ça m’aura pris,
mais désormais, je n’ai plus peur de la nuit.