Je me demande combien de fois au cours de ma vie, j’ai pu me rabâcher ou m’entendre reprocher que j’étais « différente », « anormale », « bizarre »…?
Combien de fois ai-je entendu des jugements sur moi que je ne comprenais pas tant ils étaient loin de tout ce que je me voyais ou tentais d’être ?
J’ai passé bien vingt cinq années de ma vie à me sentir totalement dysfonctionnelle, inadaptée à ce monde, incapable de le comprendre et de m’y faire entendre… Ce serait peine perdue de tenter de décrire la solitude dans laquelle j’ai pu évoluer, et les cicatrices que j’ai pu porter sans en faire part à quiconque… Je n’écris pas cela pour me plaindre, je pose un constat, et je m »interroge : tout aurait il pu être autrement ? le fameux « Si j’avais su », si « on » avait su…
Une question bien inutile, et pourtant, elle m’effleure souvent…

J’en ai parlé plusieurs fois sur ce blog, à mots plus ou moins découverts (comme ici, ici, ou encore et surtout *), mais cette différence a été le pivot central de nombre de mes réflexions, de mes obsessions…

Il y a quelques années, j’ai entamé un long parcours. Un parcours encore inachevé dans le sens où pour faire reconnaître son débouché, j’ai encore beaucoup à affronter, quand j’en aurais le courage et la volonté. Un parcours incertain, éprouvant, en plusieurs étapes, attirée par un mot comme un papillon de nuit par la lumière trop vive d’un réverbère. Avec au coeur, un espoir insensé, un rêve émietté et discret : comprendre, et peut-être par la suite, pouvoir accepter… C’était devenu vital.

J’ai lu des centaines de pages web sur le sujet, des livres, des témoignages, j’ai regardé des vidéos en boucle, écouté des podcasts, fait des recherches toujours plus poussées… Qu’est-ce que j’ai pu pleurer, en lisant les lignes écrites par d’autres et qui pourtant, pour la première fois, à la perfection me décrivait, moi, l’anomalie inexpliquée… De découvrir que nous étions des milliers, tous aux mêmes épreuves confrontés, et dans la même solitude et la même inquiétude moulés, parfois pétrifiés..
Au fond de moi, j’ai très vite su. Je le sentais, même si j’avais infiniment peur de me tromper. Au début, mon conjoint a été le seul à ne pas avoir cherché à me détourner du chemin que j’empruntais pour obtenir une validation de mon ressenti et mon vécu.. même s’il ne comprenait pas tout, il a fait comme il fait presque toujours : il a accepté, parce que ça venait de moi, et que pour lui, ça ne changeait pas quoi que ce soit… ♥

J’ai eu de la chance, c’est allé « vite » pour moi. Certains attendent toute une vie une piste à remonter, ou une file d’attente qui daignerait les laisser passer… Je suis tombée au bon moment sur les bonnes personnes, en quelque sorte. Fin 2021, j’ai eu ma réponse. LA Réponse. Celle réponse que j’attendais désespéramment depuis si longtemps sans le savoir. Celle qui m’a enfin tendue un autre miroir… un que je pouvais croire.
Je l’ai accueillie avec force de larmes, de soulagement, et d’appréhension, mais ça a été une réelle libération.

♥ trois des livres posés sur la fin de mon chemin vers le diagnostic ♥

Toutefois, cette révélation reste suspendue à un fil bien ténu. Que je comprenne la raison de mes tourments est une chose incroyable, mais jusqu’ici, malgré une furieuse envie de le crier sur tous les toits, je l’ai beaucoup gardée par devers moi, comme un petit secret. D’abord parce que je suis un peu comme ça, surtout le temps d’intégrer les informations, et ensuite, parce que je manquais de foi. La foi de se dire « si j’en parle, mon interlocuteur l’acceptera« . J’ai fait quelques tentatives aux résultats variables… Quatre proches ont accepté l’information sans broncher (mes êtres humains préférés ♥). Deux proches ont accepté mais sans bien comprendre de quoi il retournait, ou avec une idée un peu biaisée de la chose et ses retombées. D’autres ont vivement protesté : c’est impossible, je m’invente des problèmes. Ah cette phrase… combien de fois l’ai-je entendu aussi ? Combien de fois ce que je pouvais être ou ressentir a-t-il été minimisé ou nié ?
C’est si fragile ce genre de choses. Les handicaps et les douleurs qui ne se voient pas sont si souvent ignorés, voire niés, et presque systématiquement mal jugés..

Aujourd’hui, le temps aidant, je commence à me dire que je m’en fiche, de ce que les gens pensent.. Je ne vais pas le crier sur tous les toits, mais je n’ai plus l’intention de me cacher. Je suis moi, avec ce fait impalpable qui me donne bien des faiblesses, mais aussi quelques jolies qualités que même le temps passé à me remodeler n’a pas pu complètement effacées…

Je le dépose ici, comme on poserait un objet délicat dans son carton tapissé de papier bulle et de coton.

Je suis Autiste Asperger.

Je suis toujours différente. Différente d’une norme, mais pas de milliers d’autres oubliés. Avec ma personnalités et ses fêlures, mais la même singularité que d’autres humains que je remercie d’exister. Je ne suis plus anormale, ou dysfonctionnelle, c’est ce monde qui l’est, par la façon non inclusive dont il a été pensé, et qui pourra(it) être améliorée, avec du temps, et de la volonté des deux côtés… J’ai toujours les mêmes défauts, les mêmes qualités, les mêmes problèmes à affronter, mais désormais : je sais.

Je ne suis plus complètement perdue dans un monde où je n’ai pas ma place. Je suis en recherche, dans un monde pas encore complètement exploré, d’un tout petit espace..

Après tant d’années à me haïr, moi l’anomalie dysfonctionnelle,
Si différente qu’elle s’isolait, quand elle n’était pas rejetée…
Prisonnière de sens et de pensées, d’effondrements trop réguliers,
Et en proie aux doutes sans arrêt.. Je peux enfin m’accepter.
Rudes furent mon errance et ma douleur confidentielles..
Gardez donc votre “normalité”, je cesse de m’y contraindre et de la désirer.
En réalité je peux accueillir qui je suis depuis que je sais..
Rien que moi, une Aspie qui -finalement- ne s’est pas si mal débrouillée.

May I always recall myself,
Even in bright light, there’s shadow,
even in dark night, there’s something to glow…

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