Hier, je me suis autorisée ma première sortie depuis le début du confinement.
J’avais besoin d’air, de bouger. De me retrouver avec moi-même un instant.
Bien sûr, avec les limitations de distance notamment, beaucoup de mes coins habituels sont hors d’accès en ce moment, et il n’est plus vraiment permis de prendre son temps (moi qui sortait des heures et des heures…., pas de chance !), mais je me suis forcée à l’accepter, tant pis. C’est toujours ça de pris ! Et même sur ce petit trajet, parcouru plus rapidement que de coutume et d’envie, j’ai été heureuse de pouvoir enfin me dérouiller le corps, et surtout l’esprit.
Je dois avoir l’esprit dans les jambes, il a besoin de marcher pour se sentir vibrer, et d’être entouré de nature pour se sentir en équi-libre. Mes yeux se sont accrochés au peu que j’ai pu en croiser. Arbres, buissons, herbe… J’ai guetté les couleurs des fleurs, et leurs senteurs, épié brièvement les mouvements du mini-vivant que j’aime tant. Celui que tant de gens oublient si souvent. Nos voisins invisibles, la plupart du temps…
Je croisais, par un heureux hasard, le vol enjoué de papillons pressés, sitôt aperçus, sitôt disparus. Je me fixais sur les arabesques apaisantes des abeilles affairées, m’amusant de leur derrières colorés : jaune, blanc, orangé… Dans les branches encore largement dénudées, mais couvertes de bourgeons prometteurs, nos amis à plumes en profitaient de bon cœur, sans discontinuer. J’admirais leur vivacité, et la facilité avec laquelle ils se déplacent toujours dans ces inextricables labyrinthes de bois et de feuilles, petits ninjas duveteux aux accords mélodieux..
Il faisait beau sous le chant des oiseaux, doux et chaud sur ma peau. Le présent sonnait comme un cadeau. Une magnifique fin de journée..
De soulagement et de joie, j’aurais pu me mettre à pleurer. Cela m’avait tellement manqué !!
Marcher. Respirer. Observer la Nature, doucement, par le Printemps ravivée..
Pourtant, sortie des quelques menues parcelles vertes disponibles dans mon rayon, dans des coins de goudron et de béton, exceptionnellement j’ai également pu savourer l’instant. C’était étrange, mais agréable, de déambuler ainsi dans les rues de ma ville..
Après deux semaines de défilé devant ma fenêtre (je n’avais jamais vu autant de promeneurs & joggeurs que depuis le début du confinement…), aujourd’hui : presque personne, sauf en quelques lieux stratégiques comme le petit parc. Sur les grands axes, une faible circulation là où, d’ordinaire, tout n’est que flux presque constant, et sur mon chemin, juste de longs trottoirs tranquilles.
En dehors de toutes considérations (humaines, économiques, et tout ce bazar là), j’ai refait cet étrange constat : j’aime assez voir la ville dormir devant moi. J’ai toujours été fascinée par l’absence, et le silence..
Des scénarios improbables dansaient dans mon esprit, qui aime à nager dans ses fantaisies. Par moment, je ralentissais la marche, et mon regard se perdait dans les moindres recoins de cette cité au visage inédit, comme si soudain, tous étaient partis. Comme dans ces situations surréalistes où tout se fige, pour une durée indéterminée. Un minuscule apocalypse localisé… Une faille dans l’impermanence..
Le temps comme suspendu au bout d’un souffle, d’un soupir. Son passé voilé de mystère, au moins autant que l’avenir..
À défaut d’avoir bois, prairies et leurs merveilles pour moi seule, j’ai eu les places et les routes. C’est différent, sans aucun doute. Mais on peut y trouver son compte quand elles résonnent de néant clair. Comme ces fins de nuits calmes et froides, au milieu de l’hiver. Comme ces petits matins d’été où l’aube point avant l’éveil des humains. Comme les crépuscules effaçant les routes perdues de vallons lointains.. De petites parenthèses, en dehors du temps. Cela a réveillé quelques souvenirs d’une époque révolue.. Une où j’aimais à errer seule dans les rues, à des heures indues, observant le monde comme si personne ne l’avait jamais vu, et imaginant que quiconque, jamais, ne l’arpenterait plus… la peur du monde m’était alors presque inconnue.
Toute agitation, évaporée. Les vieilles mansardes aux volets clos, leurs potentiels occupants bien cloîtrés. La vie des immeubles plus récents cachée derrières des rideaux tirés. Des parkings abandonnés. Les étals déserts sur la place du marché, et les devantures austères des boutiques « non essentielles » (soit la quasi totalité) toutes fermées. Là, une cour inhabitée, si ce n’est par quelques paridés, occupés à chanter, et à chercher à manger. Un banc ignoré, à l’ombre d’une haie mal taillée. Le long d’un escalier, une rampe à la peinture écaillée, qui n’aura pas servi de la journée. Une fontaine sans personne pour l’écouter chuchoter. Le frisson des arbres que personne ne voit danser… Partout, le calme envahissant la cité, sublimant chacun de ses aspects.
Plus âme qui vive sur les pavés. Les rues vides et silencieuses, à peine animées d’un filet de vent léger. Des feuilles mortes égarées, dansant dans l’air, suivant le parfum des quelques fleurs apparues sur les buissons, et les petits coins de verdure devant les maisons. Un grand ciel bleu parsemé de nuages aux allures de coton, glissant lentement à l’horizon. Des éclairs ailés qui le traversent, parfois en quelques notes d’une courte chanson. Et ce Soleil, toujours éblouissant, jouant de ses reflets sur les murs et fenêtres des maisons; agrandissant encore les ombres, auréolant de lumière dorée les silhouettes à sa disposition; et commençant déjà, au firmament, à peindre des pastels de ses rayons..
Mon cœur battait la chamade, et pas seulement parce qu’il fallait courir pour tenir le créneau.
Si vous saviez. C’était beau. Juste beau.
Je suis rentrée pile à l’heure, et – momentanément au moins – allégée de mes fardeaux.
Rien de tel que de pouvoir s’aérer le cerveau ! J’ai même pu faire quelques photos !!
Mais je suis gourmande, je n’en ai jamais trop, alors je verrais pour y retourner, bientôt…