Juste un petit dessin (et un gros blabla) pour partager une réflexion personnelle sur l’omniprésence de la question « C’est pour quand ? ».
Cela fait une bonne dizaine d’années qu’elle virevoltait régulièrement dans les conversations, mais depuis que nous sommes en couple avec mon prince charmant, cette réflexion est impossible à ignorer : elle est partout. Du coup, j’avais envie d’en parler un peu, car je sais n’être pas la seule dans ce cas : tout le monde y a droit. Et à ses retombées aussi.
Notre société contemporaine a érigé en Dogme une « Recette du Bonheur » à l’échelle de laquelle tous peuvent juger de votre « Réussite » supposée.
Cette recette a instauré des « paliers* » à franchir – plus ou moins dans l’ordre – pour que votre vie soit considérée comme étant « réussie »/ »heureuse » par votre entourage.
Les plus importants peuvent globalement se résumer ainsi *: Conjoint, Boulot, Mariage, Propriété, Enfant N°1, Enfant N°2. Et voilà.
Au loto du « Bonheur », c’est le carton plein. Interdiction d’être heureux sans la totale, interdiction d’être malheureux si vous avez le carton gagnant.
Comme s’il n’existait qu’une seule route pour atteindre le « Bonheur », une seule forme d' »Amour » de l’autre comme de soi.. Comme si être « Heureux » était un statut définitif, au lieu d’un état d’esprit fluctuant. Notre mode de vie nous résume de plus en plus à notre statut et à nos possessions. Je trouve cela effrayant.
Les gens qui se soucient de nous, ou qui se comparent à nous, sont régulièrement tentés de savoir où nous en sommes de nos paliers. Pour cela, passé 18 ans, il commence à pleuvoir des questions en pagaille du style « T’as quelqu’un dans ta vie ? »; « Tu comptes trouver un travail bientôt ? »; « Et sinon, vous avez l’intention d’acheter une maison ? »; « Et vous, le mariage, c’est pour quand ? »; « Pas de petit deuxième en perspective ? » etc… C’est tellement ancré que même moi, il m’arrive d’en user. Pourtant, en temps normal, je pars du principe que si les gens ont envie de parler de leurs ‘projets’ privés, ils peuvent le faire comme des grands. Au pire, si la personne aime qu’on la questionne « As tu des plans particuliers pour l’avenir proche ? » suffit. Pas besoin de jouer les inquisiteurs.
Surtout que lorsqu’on pose ces questions, on a généralement déjà en tête la réponse qu’on espère avoir.. et si la réponse nous surprend, nous déçoit, ou nous est refusée, on est tenté de juger la personne d’en face selon nos propres critères… en oubliant qu’on appuie peut-être sur une plaie ouverte (ex: parler d’enfant à un couple stérile qui ne veut pas que ça se sache), ou que la personne en a peut-être ras le bol de ces questions (qu’on entend en boucle pendant des années jusqu’à validation d’une étape, pour entendre parler de la prochaine).
Avec ces questions, le plus souvent, notre vie est jugée dans tous ses aspects, même les plus intimes.
Je ne critique rien – c’est humain – mais donner un peu de recul sur la chose permettra peut-être d’y mettre réellement de bonnes intentions.
Car ces questions partent d’un bon sentiment. Je ne dis pas le contraire. Mais au fond, elles sont rhétoriques : dans tous les cas, le fait de passer ou non un de ces paliers et un choix personnel qui dépend de deux choses : l’envie et les moyens. La réponse est donc irrémédiablement « Quand je voudrai et pourrai » – qu’on sache ou pas précisément « quand » ce sera. La seule différence, c’est qu’on ne peut juger ce qu’on ignore, alors qu’une réponse ouvre la porte à tous les scénarios qu’on voudra bien envisager.
Combien de fois j’ai entendu des phrases du genre : « Ils ne veulent pas se marier? Il doit y avoir de l’eau dans le gaz entre eux », « vous ne voulez pas d’enfant ? Vous êtes encore trop immatures – ou alors ton homme est stérile », « Ce n’est pas pour son travail qu’elle ne se case pas, c’est parce qu’aucun homme ne veut d’elle », « Tu ne veux pas répondre, c’est parce que tu as honte ? ». Des questions réellement « gentilles » ne devraient jamais pouvoir donner lieu à des critiques comme celles-ci.
La liberté d’expression, c’est de pouvoir poser toutes les questions qu’on veut, mais aussi de pouvoir refuser de répondre sans être critiqué, voire même annoncer « cela ne vous regarde pas » sans provoquer d’indignation. Notre vie n’appartient qu’à nous. Les choix à faire sont les nôtres, et nous ne devons de justifications qu’à nous-même. Laissons les gens être libres d’être ce qu’ils sont.
Alors si vous aimez les gens à qui vous posez ces questions – même si vous souhaitez de tout coeur une autre vie pour eux – quelle que soit la réponse (ou l’absence de réponse), s’il vous plaît, souvenez-vous que c’est leur vie, et respectez leurs choix.
Et vous, la bienveillance, c’est pour quand ?