Cela ne m’était pas arrivé depuis… à ce point : jamais, en fait. Ou alors, j’ai oublié.
Cela m’arrive désormais, d’oublier…
Me poser devant mon écran, et ne rien vouloir y faire dessus. Ni jouer, ni dessiner. Ni lire, ni écrire. Ni rechercher, ni contacter… rien. Rien qu’une immense flaque de néant au bout de mes envies.
Je regarde autour de moi, et c’est la même chose. Les esquisses en attente depuis le début du « Art Block », la couture délaissée, les livres abandonnés… le rangement qui s’impatiente, le ménage aussi. Je n’ai juste envie de rien faire. Rien du tout.
Je suis sans doute plus fatiguée que je ne le pensais, mes souhaits noyés dans une torpeur démesurée.
Tout est terne en dedans.. Dehors, le ciel est gris-blanc. Rien ne s’y passe, rien n’y bouge, tout fait semblant, en suspens… Dans les rues en contrebas, à demi noyée par la bruine, quelques personnes s’agitent. Il y a un évènement en ville. Moi, je n’irai pas. Trop de monde, trop de bruit, j’ai besoin de tranquillité, de solitude choisie.
J’ai dormi plus que de raison aujourd’hui, migraines et cauchemars ont pourri ma nuit. Me lever a représenté un considérable défi… je n’ai pas même le goût de m’alimenter.. Je verrais ce soir, quand Il sera rentré… après tout, ce n’est pas comme si j’allais m’activer…
Je sais que plus le temps sera morne et plus il en sera ainsi. Mon énergie en chute libre, et le moral aussi, si je ne cultive pas les petites satisfactions avec précaution.. Spleen de fin de saison. Déprime de fin d’année, sur fond d’une dépression qui a toujours plus ou moins été. J’ai commencé à m’en libérer, mais par moment, les symptômes reviennent me hanter.
Novembre et Décembre… ce sont deux mois qui voient presque systématiquement ma forme s’envoler. Le froid, le manque de Soleil, l’absence de papillons dans les bosquets… je dois trouver des moyens de compenser pour ne pas m’écrouler. À croire qu’une part de moi est née pour hiverner… j’aime la consonance de ce mot « hiverner »..
Mais cela ne se fait pas, dans l’univers des humains. Il y a à faire toute l’année, sans jamais s’arrêter. C’est pesant par moment si vous saviez… D’ailleurs, j’ai parfois l’impression que c’est de plus en plus lourd pour moi chaque année..
Aujourd’hui, même si c’est un peu malgré moi, je prends le temps. Le temps de ne rien faire. Le monde des ‘miens’ à deux pas, et pourtant, infiniment lointain déjà. Mes réflexions d’habitude si tourbillonnantes pénètrent l’oeil du cyclone au fond de moi. C’est flou, c’est las. En suspension dans un espace qui n’existe pas, où le temps n’est plus qu’une illusion qui s’effiloche au moindre geste, à la moindre pensée qui se déforme et disparaît avant même que d’avoir été pleinement formulée. Un univers rien qu’à moi qui ne se décrit pas.
J’observe cette sensation de trop-plein qui sonne comme du vide, à l’intérieur comme à l’extérieur. Je réalise avec distance tout ce qui traverse mon esprit et mon coeur. J’accepte que ce jour soit réservé au constat factuel de ces ressentis, et je chasse toute la culpabilité qui essaie de m’enserrer. Je respire, en flottant intérieurement au grès du vent..
Par la fenêtre, je vois le jour qui déjà décroît, et je me souviens que ces nuits précoces m’ont toujours plus ou moins vidée. C’est dur pour moi, de voir les jours raccourcir. Même quand je n’en profite pas.. Il y a quelque chose qui ne va pas dans ces moments là… mais quoi ? Peut-être le fantôme de cette impression qui m’a si souvent peinée, piétinée ou affolée : « ma vie me passe à côté. Je n’ai jamais vraiment existé« . Tout est plus saisissant dans la langueur des jours blancs.. Peut-être autre chose, qui n’a pas encore de nom dans mon inconscient..
J’arrive à saisir la beauté de l’arrière-saison qui souffle sur la terre, à aimer la présence de la Nuit autour de chaque lumière.. J’arrive à affectionner ce ciel de plomb et de coton et sa mollesse, le froid qui fait tressaillir le corps à la moindre caresse. J’ai l’âme qui vibre au premier flocon, et dès que dans l’air des rues fusent des chansons.. mais quelque chose à l’intérieur de moi, dans tout cette lente et pure transmutation, ne trouve pas sa place, et je voudrais pleurer de n’en pas saisir la raison..
Elles sont lourdes à porter, les larmes qui s’interdisent de couler, bloquées par des croyances passées.
Il y a dans les nuages quelques nuances timides, qui peu à peu se fadent totalement. Dans le ciel, un grand silence à peine masqué par la rumeur confuse de la ville. En ouvrant, une goulée d’air froid vient me mordiller la joue. Le vent sent le gris, et l’amorce de l’Hiver. Je ferme les yeux pour mieux le goûter, comme si une part de ce qu’il est me comprenait.
Je tremble et referme, puis enroulée dans un plaid bien chaud, je pose le front contre la vitre.
Je touche du bout de l’être l’absence d’actions, et toujours mes pensées errent, lointaines, floues, presque inexistantes elles aussi..
J’attends. Je regarde le simulacre de couleurs alentour s’estomper, jusqu’à se noyer dans ce bleu nuit qui engloutit les montagnes et tout le paysage en arrière plan. Je regarde disparaître chaque élément dans son manteau de velours, jusqu’à me lasser de ce sombre monochrome qui remplace la vie dans l’embrasure de ma fenêtre, seulement piqueté de jaune par quelque lampadaires vacillants..
Je décolle mon front de la vitre et je tire les rideaux. Combien de temps s’est il écoulé ? Je ne saurais le dire. Tout est calme en dehors du roulement des voitures qui passent régulièrement. Autour de moi tout reste vide et inanimé.
Je n’ai rien fait de mon après midi, mais ça n’est pas grave. Il y avait en moi un gouffre assoiffé de néant qui me hurlait de tout mettre sur pause, et je lui ai donné ce qu’il voulait. Demain, le jour traversera peut être ma fenêtre pour arriver jusqu’à ma peau, et je ressentirai ‘autre chose’, et l’envie et la Vie, peut-être, pointeront le bout du nez..?
En attendant, les mots emmêlés, je note dans un coin cette étrange journée. Il y a quelque chose à y capturer. À garder, ou relâcher…
Quoi exactement ? Ça… Qui le saurait ? Parfois les mots ne sortent que pour s’envoler, sans rien nous laisser.